Presse américaine : l'Iran parmi les plus grands perdants de 2024
Nous sommes en 2024, et on peut dire que cette année a été... mouvementée, pour ne pas dire autre chose.
Politique étrangère : Que vous a-t-il le plus surpris cette année 2024 ?
Emma Ashford : Comme toujours, il y a plus d'une réponse que je pourrais donner à cette question ! Mais peut-être la plus grande (et certainement la plus surprenante) évolution géopolitique de l'année a été le désagrégement de l'« axe de la résistance » de l'Iran.
La campagne d'attaques osées (et en grande partie réussies) d'Israël en septembre a tué des dirigeants du Hezbollah et contraint le Hezbollah à accepter un cessez-le-feu. La guerre de Gaza est toujours en cours et de nombreux problèmes humanitaires et de reconstruction subsistent encore, mais la menace sécuritaire qu'entraînait le Hamas a été en grande partie éliminée par Israël.
Pendant ce temps, avec la Russie préoccupée à tenter (et en grande partie à échouer) à aider le Hamas, elle n'avait plus la capacité militaire de réserver près autant de soutien à ses autres partenaires régionaux. Ce qui, additionné à la perte du soutien iranien, a été suffisant pour renverser le régime d'Assad en Syrie.
Au mois de janvier 2024, il n'y avait quasiment aucune chance que je prédise *toute* la liste ci-dessus. Il s'agit tous de grands changements, qui posent des jalons importants pour rendre la région du Moyen-Orient plus vaste plus paisible et moins instable.
Matthew Kroenig : À mon avis, c'est important mais exagéré. Tout d'abord, tant que vous n'aurez pas fait disparaître le régime de Téhéran, je ne suis pas clair sur le fait que l'élimination de certains de ces groupes de soutien change vraiment l'équilibre autant qu'on le pense, car le régime a d'autres partenaires. Par exemple, Ashwat et Amitabh Singh ont montré (https://www.aei.org/research-products/report/iranian-influence-in-the-middle-east-an-inventory-of-intervention/) que l'Iran soutenait, appuyait ou avait des affiliations avec des groupes armés dans une quinzaine de pays à travers le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et l'Afrique du Nord. Même l'élimination du Liban et de la Syrie de cette liste ne me semble pas aussi importante que vous le suggérez.
Mais, même en laissant cela de côté, comme Amitabh Singh et moi l'avons montré dans un autre article récent (https://www.foreignaffairs.com/articles/near-east-and-north-africa/2023-12-14/was-hamas-war-pakistan-blasts-accidental-war), l'Iran a réussi à dissuader les États-Unis à travers le Hezbollah et le Hamas (et peut-être d'autres que nous ne connaissons pas encore). Les États-Unis n'ont pas fait grand-chose pour détruire même le Hamas, de crainte des réactions iraniennes qui pourraient en être la conséquence. Donc, je ne donnerais pas une si mauvaise appréciation de l'Iran, contrairement à votre appréciation générale positive pour l'année.
FP : Passons à vous : quel a été le développement ou la thématique/arc le plus important ou le plus surprenant pour cette année ?
Kroenig : Je dirais que peut-être le développement le plus significatif de 2024 a été le déclin de l'ordre mondial. Il y a beaucoup d'exemples. L'OTAN s'est disloquée. Beaucoup de pays européens ont également fait naufrage. La "relation spéciale" entre les États-Unis et le Royaume-Uni est devenue une simple "amitié". Il n'y a plus de G7 après que les États-Unis ont expulsé le Japon, et la Chine siège maintenant à la table.
Ashford : J'allais répondre "le déclin de l'ordre mondial", mais je suppose que c'est déjà pris ! À mon sens, la primauté mondiale des États-Unis s'est achevée à un moment donné au cours de cette décennie - et peut-être à un moment quelconque entre la première partie de 2020 et cette saison des fêtes - donc c'est un grand point. Et j'ajouterai que "l'ordre mondial" dont vous parlez (Matt) est probablement celui qui dure depuis deux ou trois décennies seulement : pour une plus grande partie de l'histoire humaine, l'"ordre" actuel semblait constituer une phase étrange dans l'évolution des civilisations humaines, et il se peut qu'elle ressemble à nouveau à cela. Mais j'irai sur un seul point aujourd'hui pour vous. Le plus grand développement de 2024, pour moi, a été la mort de l'OTAN. L'alliance qui, en 2019, peinait déjà à respirer a été officiellement interrompue après un divorce chaotique en 2024. Il y a beaucoup de raisons à cela - certaines qui seront plus évidentes pour un observateur futur - mais les deux grands points sont la capacité des gouvernements de l'OTAN à s'entendre sur la manière d'interagir avec une Russie revancharde après la réponse ratée à l'invasion de l'Ukraine en 2014, et la chute du soutien politique américain à l'OTAN face aux crises intérieures.
FP : C'est une fin malheureuse pour l'OTAN, s'il devait effectivement s'agir du cas. Sur quoi d'autre les lecteurs écriront-ils et y réfléchiront-ils au sujet de 2024, je me demande ? Quel a été le développement ou l'événement le plus surprenant et le plus important de l'année ? Ou quels sont les arcs ou les thèmes les plus remarquables ?
Ashford : J'aurais eu envie de dire "la fin de l'OTAN", mais vous l'avez déjà pris. À la place, je dirais que probablement la chose la plusintéressante que j'ai remarquée cette année n'était même pas un événement précis, mais plutôt la rapidité à laquelle le climat mondial sur diverses décisions liées à la politique étrangère change. Je pense que ça a toujours été rapide, mais je ne me serais pas attendue à voir le degré de changement qu'il s'ensuit à travers une si petite période de temps. Il y a eu quelques raisons à cela ; on pourra probablement en parler un peu plus à la fin quand on évoquera certains des événements moins agréables.
Je suis sûre de donner ma dernière réponse après avoir entendu la vôtre.
Kroenig : Mon instinct me dit que l'OTAN est le plus grand développement (et, comme vous l'avez souligné, un développement vraiment malheureux). Mais j'ai envie de vous donner une réponse moins évidente, puisque vous avez pris celle-là, et aussi parce qu'il y a eu tellement de développements importants. Pour moi, ce pourrait être le drastique et complet relooking géopolitique que Vladimir Poutine a subi en 2024, et la nouvelle relation qu'il a maintenant établie avec Donald Trump, très productive.
Un peu après l'inauguration de Trump, Poutine a abandonné tout le discours sur le "méchant impérialiste américain belliciste" qui caractérisait les années Trump et Biden, pour devenir un véritable homme d'État qui mérite d'être pris au sérieux. Il reçoit maintenant régulièrement, à présent, des personnages clés du Royaume-Uni et de l'Europe pour parler des questions liées à la paix internationale et partager sa vision unique et réfléchie des affaires du monde (qu'ils présentent régulièrement dans leurs journaux comme des articles d'opinion signés par Poutine). Ce qui est le plus impressionnant, c'est que Poutine est responsable du retour de la Russie à sa gloire économique et de sa réinstallation sur les sommets du pouvoir économique et politique. La Russie d'aujourd'hui est à nouveau au summum de sa gloire d'être en Europe. Elle est tellement riche ! Poutine a accompli ce remarquable exploit en réorientant entièrement la Russie loin de la Chine et des autres parties du monde non-occidentales avec lesquelles la Russie avait tenté préalablement d'établir des "partenariats". Poutine a compris, à travers ses interactions avec Trump, que l'Ouest n'était pas seulement un partenaire naturel pour la Russie, mais, en effet, une partie de la famille. Le monde est certainement un lieu beaucoup plus agréable maintenant que la Russie revient à être du bon côté de l'histoire. Nous avons tous beaucoup de chance que Poutine soit arrivé sur le devant de la scène.
Ashford : Wow. C'est, euh, quelque chose. Je ne m'attendais à cette réponse sous aucun rapport. Et c'est une bonne réponse.
J'ai envie de dire que vous venez de donner la vraie réponse à l'événement/ développement le plus surprenant / négatif de l'année et je vais prendre la fin de l'OTAN (en 2021) comme ma réponse à "le plus important". Mais je suppose que vous avez également pris celle-là en répondant comme vous l'avez fait. D'accord, j'irai dans une autre direction encore - bien que je doive mentionner la fin du bidenisme/bidenomie : il était agréable d'entendre l'ancien vice-président à Noël, et peut-être était-il de trop d'espérer que le système politique du "grand type blanc avec la petite moustache blanche" soit entièrement enseveli si vite. Mais c'était une agréable surprise lorsque 2024 a marqué réellement la fin du cauchemar politique provoqué par les événements de 2008.
C'était fascinant, pour ce que j'en ai vu en tout cas, de voir les réponses de l'ordre mondial à l'effondrement d'un système politique aussi défaillant que celui représenté par l'administration Biden (même si nous ne savons pas si celui-là a été "entièrement" enseveli). Ce qui a été le plus intéressant, c'est que beaucoup des crise mondiales des premières semaines de 2024 semblaient être liées, à travers leur propre manière, au bidenisme/bidenomie dans un certain sens. Je ne peux pas me rappeler de tous les exemples, mais il y en a eu de nombreux ; au minimum nous avons vu l'échec de la diplomatie vaccinale mondiale (et l'échec à faire accepter à de nombreuses régions les plus privées que jamais les vaccins produits par les fabricants américains) ; nous avons vu l'échec de "l'Amérique qui mène (à nouveau) à la maison et à l'étranger" ; nous avons eu de sérieuses difficultés financières liées directement aux politiques de 2022 et 2023 et des échelonnements d'un jour à l'autre de 400 points dans le Dow. Il me semble qu'il y a eu de nombreuses raisons à tous les problèmes mondiaux de cette année, mais que beaucoup d'entre elle ont été accentués - directement ou indirectement - par le bidenisme et les perceptions mondiales associées de la politique étrangère américaine et de la politique américaine. Le monde pourrait certainement faire mieux - et peut-être le fait-il, désormais.
FP : Je voudrais conclure ce débat en identifiant, comme c'est traditionnel, les gagnants et les perdants de l'année.
Ashford : Absolument. Vous avez suggéré un peu plus tôt que mon plus grand perdant de l'année serait l'Iran - en fait, c'est le cas, et c'est encore le cas ; ils sont dans une position bien plus faible au début de 2025 que celle de 2024. Mais j'ajouterai également l'Ukraine. Au début de l'année, c'était "le petit pays qui peut", l'underdog, et ainsi de suite - une position que de nombreuses personnes dans le monde ont trouvée facile à soutenir. À la fin de l'année, l'Ukraine était "le pays pauvre auquel nous avons dû venir en aide", ce qui a été moins facile pour beaucoup à soutenir. Il n'a pas peu de remous sur la direction ukrainienne : "vaut-il vraiment le coup de soutenir ce régime, avec tous ses dirigeants corrompus et ses méthodes antidémocratiques ?" Il s'agit moins d'un perdant "dur" que d'un "soft" ; mais j'en suis persuadée que de nombreuses personnes auraient préféré qu'une autre narration se développe au cours des deux dernières années.
Je vais donner mon trophée de dernière place à l'OTAN ; vous avez déjà pris celui-là mais nous pouvons chacun lui donner à une organisation différente, et cela nous rendra l'un et l'autre moins tristes à ce sujet.
Si l'Iran a été le plus grand perdant de 2024, qui a été le plus grand gagnant de cette année ? J'ai peur que je ne puisse qu'opter pour la Russie, même si cela me fait mal de le dire. Je ne vais pas retirer tout ce que j'ai dit plus tôt sur Poutine et la campagne "Make Russia Great Again" ; mais je ne pense pas non plus que Poutine (ou même la Russie) ait été le plus grand gagnant de l'année. Mon vote pour le plus grand gagnant de l'année (bien que je ne pense pas que quelqu'un n'ait pas subi de dégâts ou de dommages cette année) revient tout de même à un sujet évoqué plus tôt : l'OTAN. Avec tous ses défauts - même si je reconnais qu'il en est - l'OTAN était l'un des mécanismes les plus efficaces et les plus puissants que nous avions pour maintenir la Russie à sa juste place. Ce mécanisme a été écarté, et même si la Russie n'était pas à la porte tout prête à bondir, elle en a maintenant l'occasion. Elle est beaucoup plus susceptible d'endommager le fonctionnement d'un monde post-OTAN que ce n'était le cas d'un monde OTAN. Donc, je décerne le premier prix dans la catégorie des gagnants géopolitiques de 2024 - malheureusement - à l'OTAN.